Ca va coûter cher, très cher ou très très cher ? C'est la question, légèrement angoissante, qu'on a envie de poser à la lecture d’un rapport : celui rendu public ce mercredi 1er février par la Mission d’information relative à la faisabilité technique et financière du démantèlement des installations nucléaires (composé de parlementaires). Il porte sur le coût réel du démantèlement des 58 réacteurs nucléaires du parc tricolore. Mais hélas, il n’y a pas de réponse à donner.
Mais une chose est certaine : en matière d'addition, les estimations données jusqu'ici par l'exploitant EDF semblent relever du flou artistique, voire de l'aimable fiction.
EDF estime en effet que le coût du démantèlement s'élèvera à 75,5 milliards, somme dont, évidemment, la dépense s'étalera sur plusieurs décennies (un démantèlement durant, estime-t-on, entre 20 et 25 ans par réacteur). 75 milliards, cela paraît exorbitant, mais d'après les parlementaires qui ont enquêté sept mois, c'est très vraisemblablement en-deçà de la réalité.
Fessenheim n’est qu’un début : une quinzaine de réacteurs vont fermer
Et si l’on tient compte de ces "histoires" propres à chacun, ça donne quelle somme ? Eh bien personne n'a, pour le moment, été en mesure de donner la réponse à cette question, et c’est bien le problème. EDF pourrait la donner précisément le 14 février prochain, comme cela lui a été réclamé… Mais on ne sera pas, hélas, obligé de le croire sur parole.
Pas obligé, notamment, de prêter foi à l’argument qu'il n'a, jusqu’ici, cessé de mettre en avant : celui des "économies d'échelle" que ce grand nombre de réacteurs devraient lui faire réaliser. C’est-à-dire ? C’est-à-dire qu’il est proportionnellement moins coûteux de démanteler 10 ou 20 réacteurs qu'un seul, car on acquiert un savoir-faire qui rend les opérations de plus en plus rentables. Une belle idée en théorie, mais qui ne s’applique probablement pas dans le cas présent, souligne le rapport, pointant justement la diversité des sites à démanteler, donc l’absence d’utilité d’un "savoir-faire".
Autre point noir : l'énergéticien a "oublié" le fait que la plupart des réacteurs devront, si EDF consent à respecter la loi, être démantelés de manière quasi-simultanée. En effet, la plupart ont été bâtis entre 1977 et 1987 et devront donc être mis à l'arrêt tous ensemble sur une période très serrée de dix années. Autrement, les équipes et le matériel seront mobilisés sur plusieurs sites en même temps, ce qui exigera de les multiplier, donc de faire exploser la note.
Or, EDF n’a mis que 36 milliards d’euros des fonds de côté pour régler cette note. Ce qui est trop peu. Au moment d’estimer la douloureuse, il n’a pas en effet jugé opportun de compter le coût de la remise en état des sols (que le rapport qualifie pourtant d’"exigence légale élémentaire") car, avance l’électricien, après que les vieux réacteurs auront été déconstruits, il n’y aura pas de "retour à l’herbe", mais… de nouveaux réacteurs.
Apparemment, personne n'a informé le champion du nucléaire que la loi de Transition énergétique de Ségolène Royal impose que, d’ici à 2025, l’électricité nucléaire ne représente plus que 50% du bouquet électrique national. Ce qui signifiera, si la demande en électricité continue de baisser comme c’est le cas partout en Europe, probablement une quinzaine de réacteurs en moins, peut-être davantage. Et donc, autant de sols à réhabiliter.
EDF, décidément très étourdi sur ce dossier, a également omis d’inclure les taxes et assurances qui lui tomberont sur le dos, le coût du retraitement du combustible usagé et celui du reclassement de ses employés licenciés (soit « 80 à 90% » du personnel d’une centrale, estime le rapport). Mais pourquoi tant d’insouciance ? Le rapport parlementaire a bien compris quelle est la stratégie d’EDF pour échapper au coup de bambou :
Autrement dit, EDF estime que son épargne, placée sur des investissements juteux, lui rapportera 10 ou 20 années de plus que prévu si ses centrales ont le droit de fonctionner non plus 40, mais 50 ou 60 ans.
Une idée tout à fait futée sur le papier, mais qui fait fi d’un détail : l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), le gendarme de l’atome. Lequel n’a pas encore donné son feu vert pour laisser fonctionner 10 ou 20 ans de plus des installations prévues pour 40 ans. Et s’il le fait, les travaux nécessaires pourraient être extraordinairement élevés.
Et quand on connaît la sévérité de Pierre-Frank Chevet, le président de l’ASN, on se dit qu’EDF n’est plus optimiste, mais inconscient…
Dans ses conclusions, le rapport de la mission parlementaire n’accable pas EDF, mais le vrai responsable de ce qui ressemble bien à un exercice de dénégation taille XXL : l’Etat français. Eh oui, actionnaire à 85,6% de l’électricien, c'est lui qui est censé définir la politique de cette entreprise, mais il semble laisser le soin aux majorités suivantes de le faire.
Et en attendant, EDF continue de voguer vers le tout-nucléaire tel un navire sans capitaine…
Arnaud Gonzague